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L'IA face aux Enjeux de la RSE

Rédigé par YJ | 11 oct. 2025 16:14:55

La table ronde a dressé un portrait nuancé et urgent de l'intelligence artificielle, la positionnant non comme une fatalité technologique, mais comme un carrefour de choix stratégiques aux implications profondes pour les entreprises, la société et l'environnement. Le débat a mis en lumière une tension fondamentale entre les promesses de performance de l'IA et les risques systémiques qu'elle engendre sur les plans humain, social et écologique. La modération par Frédéric Bordage du Green IT, a permis le partage entre les intervenants dans de bonnes conditions malgré les divergences des opinions et des centres d'intérêt.

Problématique centrale : L'heure des choix face à une vague transformative

L'IA n'est pas une simple innovation, mais l'une des quatre vagues de transformation simultanées qui bouleversent nos sociétés, avec la transition écologique, les mutations démographiques et le nouveau rapport au travail. Son déploiement, d'une vitesse et d'une ampleur inédites, confronte chaque organisation à une question critique : comment l'intégrer pour créer de la valeur durable sans aggraver les crises sociales et écologiques ?

L'enjeu n'est plus de savoir si l'IA va être adoptée — elle l'est déjà massivement, souvent de manière "pirate" et non maîtrisée — mais de définir pourquoi et comment la déployer. Il s'agit de faire des choix conscients pour que l'IA augmente nos capacités et serve un projet de société soutenable, plutôt que de nous enfermer dans une logique de productivité aux externalités négatives dévastatrices.

La table ronde : Positions des intervenants

Chaque intervenant a apporté un éclairage distinct et complémentaire sur cette problématique.

Muriel Pénicaud (Anciènne Ministre du Travail) - La Vision Macro-Sociale et Stratégique

 L'ancienne ministre du Travail a insisté sur l'ampleur du choc social à venir. Avec un milliard d'emplois potentiellement transformés ou détruits au niveau mondial, l'IA touche pour la première fois le cœur des "cols blancs" et des classes moyennes.
  • Le risque d'une triple fracture sociale : au sein de l'entreprise (polarisation des compétences), dans la société (illettrisme numérique aggravé) et au niveau mondial (surexploitation des "ouvriers du clic").
  • L'heure du choix de la valeur : L'exemple du CHU de Montréal est emblématique. Les gains de productivité (30%) obtenus par l'automatisation logistique ont été réinvestis dans le lien humain (soin, accompagnement), améliorant in fine la qualité des soins et la guérison des patients. Les entreprises doivent décider si elles utilisent l'IA pour simplement couper des coûts (l'humain comme charge) ou pour réinvestir dans ce qui a une valeur non substituable (l'humain comme valeur).
  • La révolution des compétences : La durée de validité d'une compétence est passée de 30 ans à seulement 2 ans. Cela impose une transformation radicale de l'éducation et de la formation continue vers un apprentissage permanent.

Marlène De bank - L'alerte environnementale et énergétique

En tant qu'experte du Shift Project, elle a porté une alerte sur l'impact physique et non durable de l'infrastructure de l'IA, démontant le mythe d'un numérique immatériel.
  • Des chiffres alarmants : D'ici 2030, les data centers dédiés à l'IA pourraient émettre deux fois les émissions de GES de la France et multiplier par quatre la consommation électrique du secteur en France.
  • Conflit d'usage des ressources : Cette surconsommation électrique et en eau entre en concurrence directe avec les besoins de décarbonation de l'industrie et des transports, ainsi qu'avec les besoins agricoles et humains.
  • L'inefficacité des gains d'efficience : Les améliorations technologiques sont réelles mais totalement submergées par l'explosion des usages (effet rebond). La taille des modèles d'IA a été multipliée par 10 000 en 2 ans, rendant les gains d'efficacité marginaux. La seule solution est la sobriété.
  • Message central : "Quand on parle d'IA, on parle climat." L'impact environnemental doit être un prérequis à toute discussion sur le déploiement de l'IA.

Laurent Félix - La perspective du praticien de l'IA

En tant que dirigeant d'une entreprise d'IA et acteur de la Convention des Entreprises pour le Climat, il a plaidé pour une approche pragmatique et intentionnelle.
  • Démystifier l'IA : Il a simplifié la vision de l'IA en quatre grands types (déterministe, prédictive, générative, agentique) pour mieux en cerner les usages.
  • L'importance de l'intentionnalité : La question fondamentale pour un dirigeant ne doit pas être "Que peut faire l'IA ?" mais "Que doit faire l'IA ?". Il faut partir des enjeux stratégiques de l'entreprise (performance, durabilité, résilience) et utiliser l'IA comme un outil ciblé, et non comme une fin en soi.
  • Exemples d'IA vertueuse : Il a cité des cas d'usage concrets où l'IA peut servir la RSE, comme l'aide au reporting CSRD pour en faire un levier de transformation, ou l'optimisation de l'éco-conception des produits.

Hélène Le Téno - La Défense de l'intelligence humaine

La présidente de la Earth Leadership University a mis en garde contre le risque que l'IA "écrabouille notre intelligence humaine", en particulier nos capacités les plus précieuses.
  • L'érosion des capacités humaines : Certains usages de l'IA menacent des dimensions fondamentales de l'humain : la sensibilité, la responsabilité, l'authenticité et la liberté.
  • La perte de l'intuition experte : Le cas de la supply chain pendant le COVID a montré que la sur-confiance dans une IA prédictive a atrophié l'intuition des équipes, les rendant incapables de gérer une rupture imprévue.
  • La valeur du lien humain : L'exemple de la fintech Klarna, qui a réembauché après avoir licencié au profit de chatbots, prouve que la relation humaine est une source de valeur et non un simple coût.
  • Le rôle du courage : Face aux algorithmes, les leaders doivent cultiver le courage de dire non, de questionner les résultats et de faire des choix qui préservent le capital humain de l'entreprise.

En synthèse, cette conférence a clairement établi que l'intégration de l'IA dans nos organisations est avant tout un enjeu de gouvernance, de stratégie et de responsabilité. Ignorer ses impacts sociaux et environnementaux reviendrait à construire la performance de demain sur des fondations insoutenables.

Pour une entreprise comme Powness, l'audit de durabilité doit désormais intégrer une analyse critique des choix technologiques liés à l'IA.